lundi 14 septembre 2015

Ecoles primaires: le parcours du combattant


Pour décrocher une bonne école primaire, mieux avoir de l'argent, aller à l'église et être chanceux



Ca y est, la rentrée des classes a eu lieu pour tous les écoliers du Royaume-Uni. Pour mon fils de quatre ans, c’était plutôt une « entrée des classes » car il vient de rejoindre l’école primaire publique en reception, l’équivalent de la moyenne section de maternelle en France. On dit toujours que c’est un événement majeur dans la vie d’un enfant et de ses parents. Mais pour les parents, au-delà du choc émotionnel et des nouvelles habitudes à prendre, c’est surtout l’aboutissement d’un long processus : le parcours du combattant pour décrocher une place à l’école. Il faut distinguer le système public (state schools) du privé. Nous nous attarderons sur l’entrée en reception.


Forte compétition pour les places dans le public


Il faut reconnaître la grande transparence du système public éducatif britannique. Tout est en ligne : performances des écoles, critères d’admission (sur les sites des boroughs), admissions… Tout est prêt pour la course aux meilleures écoles publiques, celles qui sont notées outstanding, voire good, en évitant les satisfactory et surtout les unsatisfactory. En réalité et pour prendre le cas de Londres, 80% des écoles sont notées dans les deux meilleures catégories, et les parents avertis pourront lire le rapport Ofsted entre les lignes pour déceler les qualités d’une école, analyser ses résultats sur le site du ministère de l’éducation nationale ou dans les journaux.
Pour la plupart des écoles publiques, les critères d’admission donnent priorité aux petits frères ou sœurs ayant un ainé dans l’école, puis allouent les places restantes en fonction de la distance à l’école. Dans la pratique, entre la moitié et les deux tiers des places disponibles sont accordées selon le critère de la fratrie, le restant aux enfants habitant le plus près de l’école. La compétition a donc lieu entre familles souhaitant placer un ainé, ou bien un enfant n’ayant pas de grand frère ou sœur dans l’école.
Chaque année, les boroughs publient la distance du logement de la famille la plus loin de l’école ayant obtenu une place, n’ayant pas d’ainé déjà scolarisé dans cette école. Cette distance, qui varie chaque année, est appelée informellement le catchment area. Dans une ville comme Londres, les catchment areas sont minuscules, d’environ 300 à 400 mètres à vol d’oiseau. Certains ne dépassent pas 50 mètres, exceptionnellement 0 mètre lorsque toute les places sont allouées selon le critère de la fratrie. Si l’on vise une école publique à Londres, il faut donc habiter ou déménager dans le bon catchment area en ayant préalablement épluché le rapport du borough (un exemple ici) et bien analysé le critère de distance qui varie selon les boroughs (distance mesurée à vol d’oiseau ou par le chemin piétonnier le plus court, distance à la porte de l’école ou au centre de celle-ci, mesures en miles ou en mètres…).
Dans ces conditions, habiter ou louer dans le bon catchment area pour décrocher une bonne école se paye, souvent cher. Pour les investisseurs, acheter un bien dans cette zone, c’est l’assurance de bien le pouvoir le louer et le revendre, à condition que la réputation de l’école se maintienne. Beaucoup de parents louent un bien situé dans le catchment pour quelques mois, puis déménagent un peu plus loin une fois la place obtenu. Le système fait donc la part belle aux parents astucieux et aisés. Tant et si bien que les écoles finissent par scolariser des fratries d’enfants domiciliés à plusieurs kilomètres tandis qu’elles doivent refuser l’accès à certains habitant juste à côté, provoquant la furie de certains parents.


Des critères drastiques dans les écoles religieuses publiques
Un  autre moyen de scolariser ses enfants dans une bonne école sans payer de frais de scolarité est de les mettre dans une école religieuse sous contrat avec l’Etat. Seulement voilà, les critères d’admission donnent la priorité aux familles pratiquantes, en départageant les ex aequo selon le même critère de distance. Pour la majorité des bonnes écoles, vos enfants n’ont aucune chance d’entrer si vous n’êtes pas à la fois pratiquant et habitez tout près de l’école. 
Comment déterminer si une famille est pratiquante ? Pour une école anglicane (Church of England) ou catholique (Roman Catholic), l’école demande de fournir un certificat de baptême, mais aussi… un certificat du prêtre attestant de l’assiduité à la messe. Les familles allant la messe toutes les semaines passeront avant celles qui y vont tous les quinze jours, celles-là passant avec celles y allant tous les mois. On comprend mieux pourquoi les églises sont pleines le dimanche de jeunes familles. Il est fréquent que des parents se « redécouvrent » religieux quelques mois avant les inscriptions, afin de pouvoir valider leur présence à la messe, en remplissant par exemple des fiches de présence à la fin de l’office.
Certaines écoles ont des critères plus drastiques : il faut prouver son assiduité à la messe depuis au minimum un an avant la naissance de l’enfant (pour éviter le comportement décris ci-dessus) et participer « volontairement » à la vie de la communauté, par exemple en enseignant le catéchisme ou en faisant des lectures durant la messe. Vous pouvez en trouver un exemple ici.
N’allez pas croire que le phénomène des écoles religieuses est isolé. A Londres en particulier, la majorité des quartiers abrite une école catholique et une école anglicane, qui sont souvent de meilleur niveau que les écoles non religieuses et presque toujours « sursouscrite ». On relèvera que le nombre d’école catholiques est disproportionné par rapport à la proportion de la population de l’Angleterre et du Pays-de-Galles se déclarant catholique (seulement 7%). Ces écoles pourtant financées par le contribuable sont dans la pratique réservées à une minorité de la population en raison de la pression sur les places disponibles. La conséquence est qu'une famille non pratiquante voisine d’une école catholique (publique) devra mettre son enfant dans une autre école, qui sera généralement plus loin et d’un moins bon niveau. L’alternative est de le mettre dans le privé.


Les écoles privées: "cash is king"
Le privé, c’est la planche de salut des parents n’ayant pas suffisamment la foi – tout court, ou dans le système public. Ce scepticisme se paye fort cher : en moyenne autour de 10,000 ou 11,000 livres par an (environ 14,000 euros) pour les maternelles, davantage pour les plus grands, par exemple 20,000 livres (environ 33,000 euros) par an à Kings College School à Wimbledon, l’une des meilleurs écoles du pays. Le directeur de l’école reconnaissait lui-même en 2014 les tarifs excessifs de son école, dus en bonne partie à la forte demande de riches familles étrangères : “We have allowed the apparently endless queue of wealthy families from across the world knocking at our doors to blind us to a simple truth: we charge too much”.
L’école privée est un business qui se pare de respectabilité, mais qui emploie les mêmes techniques de vente que les marques de grande consommation. Prenons un exemple vécu de la technique consistant à créer un effet de  rareté : on fait passer des « entretiens » (coûtant 150 livres) à votre enfant de 3 ans pour officiellement tester sa capacité à s’intégrer à l’école pour son entrée en reception. Puis on vous annonce quelques semaines plus tard qu’il a « réussi » cet entretien et que la place vous est réservée – moyennant un dépôt de 2,000 livres et paiement en avance du premier trimestre (3,300 livres), le tout non remboursable. Mais comment refuser une telle proposition dans une école réputée ? D’autant que cette offre tient deux semaines et expire, comme par hasard, la veille de l’annonce des places dans toutes les écoles publiques. La solution – se comporter comme un consommateur et négocier la prolongation de cette offre de 24 heures. Et le jour où vous découvrez que votre enfant a son premier choix d’école primaire publique, leur annoncer non sans une certaine jubilation que vous allez devoir décliner la place.


Pour autant, il ne faut pas croire que les problèmes d'école sont terminés une fois acquise la place en reception! Il ne font au contraire que commencer. En effet, nombre de parents ayant la chance d'avoir des moyens financiers confortables mettent leur progéniture dans le système privé une fois atteint l'âge de 7 ou 11 ans. En effet, le système scolaire britannique est une formidable machine de reproduction sociale. Si seulement 7% des enfants vont dans une école privée, ceux-ci seront ensuite massivement sur-représentés dans les professions dites supérieures et les postes de responsabilité. Au-delà de l'aspect purement académique, les écoles privées transmettent des pratiques, valeurs et manières d'être (pratique du rugby plutôt que du football, importance de la prise de parole en public et de la capacité de l'enfant à défendre son point de vue) et créent des réseaux qui permettent à ces enfants, même s'ils sont peu doués, de se distinguer à coup sûr de la masse de la population et d'accéder à une position sociale confortable. Faut-il participer à ce petit jeu ou au contraire s'en tenir à distance? Que faire dans l'intérêt de son enfant? Autant de questions que beaucoup de parents se posent.

Pour les parents ayant un enfant qui aura 4 ans l’an prochain, la date limite pour s’inscrire en ligne pour les écoles primaires publiques est le 15 janvier 2016. Bon courage et bonne chance !



mardi 21 avril 2015

Les élections générales mode d'emploi

Le 7 mai, tout le Royaume-Uni est invité à se rendre aux urnes pour les élections générales. Les électeurs doivent choisir leur député et, par ce vote, déterminer la couleur politique du prochain parlement. Le prochain premier ministre, selon toute vraisemblance l’actuel premier ministre David Cameron du parti conservateur, ou le chef de l’opposition travailliste Ed Miliband du parti travailliste, devrait être issu du parti majoritaire.
Qui vote ?
C’est là une originalité méconnue du corps électoral britannique. Tout comme les citoyens britanniques, les ressortissants du Commonwealth et d'Irlande peuvent voter pour les élections générales, ainsi qu'à toutes les autres élections. Ainsi, un Fidjien, un Ghanéen ou un Canadien dûment enregistré sur les listes électorales pourra glisser son bulletin dans l'urne le 7 mai. En revanche, un Français de Londres ou un Britannique habitant Jersey ne pourront pas voter, l'un parce qu'il n'est pas ressortissant d'un pays du Commonwealth, l'autre parce que les îles Anglo-Normandes ne font pas parti du Royaume-Uni. Environ un million d'électeurs appelés aux urnes sont des non-Britanniques.

Comment vote-t-on ?
Là aussi, on observe de grandes différences avec la France (on pourrait même dire avec l’ensemble de l’Europe). Le vote a toujours lieu un jeudi, donc si vous travaillez ce jour-là il vous faudra aller voter avant ou après votre journée de travail. Un mois avant la date, vous recevez chez vous une poll card vous indiquant l’emplacement de votre bureau de vote, mais vous n’en avez pas besoin pour voter. Arrivé au bureau de vote, on vous demande seulement votre nom et votre adresse. Pour voter, vous allez dans un « isoloir » dépourvu de rideau et vous faites une croix sur le bulletin de vote. Il n’y a pas d’enveloppe pour le mettre dedans, il vous faut plier le bulletin si vous voulez cacher votre choix. Ensuite, vous placez le bulletin dans une urne transparente… ou totalement opaque selon les bureaux, car il n'y a pas de normes pour les urnes au Royaeume-Uni. Le soir, à la fermeture des bureaux de vote, vous vous installez devant votre téléviseur pour la « soirée électorale »… animée essentiellement par des journalistes et des « experts » car il n’y pas de débat entre dirigeants politiques et les résultats sont connus au milieu voire à la fin de la nuit, le temps de dépouiller les bulletins, les sondages sortie des urnes étant peu répandus ou fiables.

Elections 2015: quelles sont les forces en présence ?
Le système parlementaire britannique connaît de profonds changements depuis le début de la décennie.

D’une part, les élections de 2010 ont mis fin au bipartisme historique entre Conservateurs et Travaillistes, avec l’émergence d’une troisième force, les Libéraux-Démocrates, devenus le junior partner de la coalition formée avec les Conservateurs. Il semble que le mode de gouvernement par coalition, autrefois impensable en raison du bipartisme de la vie politique, fasse désormais partie du paysage politique britannique avec la montée en puissance de nouveaux partis, notamment les eurosceptiques de UKIP et les nationalistes écossais du SNP, qui disputent au Lib-Dem le rôle de troisième force politique du pays.

D’autre part, le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse perdu par les nationalistes en septembre dernier a laissé des traces. Loin de s’avouer vaincus malgré les 55% obtenus par le « non », les nationalistes du SNP font pression sur Westminster pour obtenir davantage de droits (nous reviendrons dans un prochain billet sur les privilèges surprenants dont bénéficient les Ecossais). La nouvelle dirigeante du SNP, Nicola Sturgeon, a acquis la réputation d’une femme politique impitoyable, dont la ligne politique pourrait se résumer par « toujours plus » : plus de transferts financiers en faveur de l’Ecosse, plus de pouvoir politique pour le parlement écossais, plus d’influence au sein de l’union (elle réclame par exemple l’arrêt du dispositif de dissuasion nucléaire Trident). Le but du SNP demeure clair : la séparation pure et simple de l’Ecosse d’avec le Royaume-Uni, et l’intention d’organiser un nouveau référendum dans les prochaines années.

La fin du bipartisme place potentiellement les « petits partis » (principalement les Lib-Dem, UKIP, SNP, dans une moindre mesure les Verts et le DUP nord-irlandais) dans un rôle d’arbitre, avec pour certains la possibilité de former la prochaine coalition au pouvoir. On peut ainsi envisager une coalition entre les Travaillistes et le SNP, entre les Conservateurs avec UKIP ou entre l’un ou l’autre des deux grands partis avec les Lib-Dem. L’un des arguments des Conservateurs à l’encontre des Travaillistes est qu’une majorité travailliste serait contrainte de faire alliance avec le SNP (dont les sondages prévoient un triomphe en Ecosse) pour former une majorité, et serait ainsi otage d’un parti dont la mission est à court terme de « siphonner » la riche Angleterre et à moyen terme de briser l’Union. Un scrutin à enjeux donc.

Rendez-vous au lendemain du 7 mai pour commenter les résultats des élections!

A propos des Chroniques d'Albion

Bonjour et bienvenue sur mon blog!

Français expatrié à Londres depuis de longues années, je ne me lasse pas d’observer la vie ici, de la comparer à ce qu’elle peut être de l’autre côté de la Manche. Il y a tant d’idées intéressantes à piocher dans ces deux pays, et les deux peuples ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre.

Malgré leurs différences, la France et le Royaume-Uni sont des pays parfaitement comparables, bien plus que la France et l’Allemagne par exemple. Ils ont la même population, une économie comparable, comptent les deux plus grandes capitales d’Europe, sont les seules puissances nucléaires européennes, membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies, une même ouverture sur le monde héritée de leur histoire, un réseau diplomatique de premier plan... Plus encore, ce sont des pays qui ont profondément influencé la manière dont de nombreux peuples de la planète pensent la politique, le droit, les arts… Malgré leur déclin sur la scène internationale, les deux plus vieilles nations d’Europe demeurent des références pour le monde entier. Lorsque l’on regarde comment font les Britanniques par rapport aux Français, on ne compare pas seulement deux pays, mais deux génies nationaux, deux systèmes qui ont eu (et parfois ont toujours) une prétention universaliste.


Ce blog a pour modeste ambition de pointer les particularismes, le pittoresque, l’ingénieux ou l’absurde et de susciter la discussion. L’auteur de ces lignes, qui travaille dans le secteur financier, admire son pays d’origine comme son pays d’adoption mais n’hésite pas à prendre parti pour l’un ou l’autre, si le débat s’y prête. Il est consterné par ses compatriotes installés à Londres qui critiquent sans cesse, parfois à raison, souvent à tort, les travers français (sans doute est-ce la foi des convertis). Il l’est tout autant par ceux, moins nombreux il est vrai, qui refusent le moindre effort d’intégration et s’installent au Royaume-Uni dans un pur but alimentaire. Il pense que ces deux pays magnifiques, semblables et différents à la fois ont beaucoup à se dire, à apprendre et à partager.